L'Europe, terre de conquête dans les paiements, tente d'organiser sa défense

L'Europe, terre de conquête dans les paiements, tente d'organiser sa défense

L'Union européenne pousse les grands groupes bancaires à harmoniser les modalités de paiement. En jeu : la souveraineté du Vieux-Continent dans un domaine dominé par les américains Visa et MasterCard et attaqué par les géants du web chinois et les Gafa.
Banques en ligne

Rédigé par Olivier BALBASTRE

le 21 Novembre 2019

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PEPS-I, le bouclier de l’Europe dans les services de paiement électronique

PEPSI est le sigle de Pan european payment system initiative, un projet porté par une vingtaine de banques européennes, dont six françaises. Le but est de partager un standard commun relatif à la gestion du paiement dématérialisé (carte bancaire, paiement mobile, technologies sans contact ou biométriques, etc.). Or, pour l’heure, les données du paiement échappent à tout contrôle européen. Le juteux business est préempté depuis des décennies par les américains Visa et MasterCard, qui prélèvent au passage leurs commissions.

Pour l’instant, les échanges portent sur la pertinence d’un tel dispositif. En décembre, les banques européennes doivent dire si elles poursuivent ou pas leurs prospectives, sachant qu’une étude de faisabilité est attendue pour le printemps 2020. Les membres du projet PEPSI visent un projet englobant tous les modes de paiements : carte, prélèvement, virement. Ils sont encouragés par la Banque centrale européenne (BCE) depuis 2017, soucieuse de la non souveraineté dans le secteur des paiements. Mais le travail est complexe car plus d’une dizaine de pays disposent d’un schéma national (GIE Carte Bancaire en France) qu’il va falloir faire converger.

Une concurrence accrue américaine et chinoise

Les banques européennes n’en sont pas à leur coup d’essai mais, en 2012, le projet similaire baptisé Monnet s’était heurté au manque de soutien politique et à une absence de consensus, avant d’être abandonné. Pourtant, les ambitions de PEPSI sont conséquentes : la gestion d’au moins 60% des paiements électroniques en Europe. Trop tard ? Il faut dire que l’essor de la digitalisation des moyens de paiements et le processus de mondialisation attisent les appétits d’autres acteurs, tous non européens (Apple Pay, Facebook Pay, Samsung Pay, Google Pay, Amazon Pay, Uber Money).

Et puis, la fiabilité des acteurs historiques est remise en cause puisqu’en théorie, Visa et MasterCard peuvent décider de débrancher leur système sous l’injonction des pouvoirs américains, comme en 2010 avec Wikileaks, ou 2014 en Crimée. Sans compter, l’avancée majeure des géants chinois et leur incommensurable force de frappe : WeChatPay, Hipay et AliPay. Cette dernière, qui appartient à Ant Financial, filiale financière d’Alibaba, veut convaincre 10 millions de commerçants européens d’adopter sa solution d’ici 2024.

Alipay à l’assaut de l’Europe

Eric Jing, PDG du groupe Ant Financial explique : « notre objectif est d'améliorer la manière dont les particuliers et les entreprises effectuent leurs transactions et leurs paiements, en nous appuyant sur la force de nos partenariats ». Pour asseoir sa stratégie de conquête, le géant chinois a racheté en début d’année la Fintech britannique WorldFirst, spécialisée dans le transfert d’argent. En France, Alipay noue des partenariats, comme avec Franprix depuis octobre, et s’est associée avec des banques françaises (BPCE, BNP Paribas, Banque Edel, Banque Postale) pour élargir le nombre de commerçants acceptant sa solution de paiement.

En clôture de la conférence Alipay Partners Global Summit, qui s’est déroulée le jeudi 14 novembre à Londres, Angel Zhao, Présidente d'Alibaba Global Business Group a été explicite : « L’Europe est le continent le plus important ». Or, la France est le premier pays d’accueil des touristes chinois. Les clients chinois d’Alipay ont ainsi dépensé en moyenne 1273 euros dans les magasins français, uniquement lors de la semaine dédiée à la Golden Week d’octobre. En multipliant les points de contacts avec les utilisateurs dans leur vie quotidienne, Alipay est en mesure de délivrer aux marques, retailers et acteurs de son écosystème, des milliards de données sur leurs préférences, leurs habitudes, et bien sûr leurs achats.

En une décennie, ce ne sont pas moins d’une dizaine de groupes bancaires chinois qui ont installé leur siège au Luxembourg. Jérôme Reboul, sous-directeur à la direction générale du Trésor du ministère français des Finances, en charge notamment des sujets de paiements, a beau indiquer qu’en « deux ans, le regard sur la question de l’avenir des paiements a considérablement changé », on est en droit de se demander si une simple étude de faisabilité est à la hauteur des enjeux.



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