Banques en ligne : y a-t-il un modèle économique dans l'avion ?

Banques en ligne : y a-t-il un modèle économique dans l'avion ?

La fermeture d'ING en France a de nouveau braqué les projecteurs sur la fiabilité du modèle économique des banques en ligne. Course onéreuse à l'acquisition, banalisation des services, marché hyper concurrentiel, tours de vis réglementaires : autant de turbulences gênant la progression des historiques.
Banques en ligne

Rédigé par Olivier BALBASTRE

le 13 Mai 2022

Modèle économique banques en ligne

Le " fake it until you make it * " comme tableau de bord ?

Tournant du millénaire : la démocratisation de l’accès à internet ouvre des perspectives dans lesquelles s’engouffrent les premières banques en ligne. D’abord dédiés au courtage en ligne pour les particuliers, les sites pivotent pour décoller comme établissements financiers commercialisant des produits d’épargne.

À l’instar du Livret d’Épargne Orange ING, les taux boostés et les primes à la souscription embarquent un public jeune, technophile et urbain. Le créneau : les coûts réduits et l’autonomie dans la gestion, avec l’accès aux produits bancaires en ligne, à tout moment, 24 h 24 et 7 j/7, depuis le siège de son salon. Et le modèle économique ? On verra plus tard, la seule boussole étant l’acquisition de nouveaux passagers.

Snobant ce mouvement et sûrs de leur puissance, les grands groupes bancaires ne perçoivent pas le changement en cours dans les comportements et les besoins des clients. L’inertie en vol du secteur bancaire est bien connue. Le taux d’attrition reste bas et les portiques à l’entrée totalement verrouillés. Néanmoins, la numérisation de l’économie finit par réveiller les banques, ce qui les amène à acheter ou lancer leur banque en ligne pour en faire l'aiguillon sur le marché.

Les banques en ligne suspendues au bon vouloir de leur maison mère

L’appartenance aux banques traditionnelles n’est pas un fait anodin, car les banques en ligne n’ont plus viscéralement à chercher à être rentables. En dernier ressort, elles se reposent sur leur maison mère et les injections de capitaux pour leur éviter le crash. Ainsi, en mars 2021, BforBank fut sauvée pour la troisième fois par le Crédit Agricole.

Un ravitaillement financier que n’a plus consenti à faire le groupe de bancassurance néerlandais ING, avec pour conséquence immédiate l’atterrissage forcé d’ING France. La fin du long courrier lancé en 2000 (ING Direct) est une aubaine pour Boursorama Banque, heureuse de siphonner la clientèle du concurrent défunt. La filiale de La Société Générale s’affirme comme le leader du marché.

Malgré ses 3,7 millions de clients, Boursorama n’est pas rentable, car les efforts en marketing et en publicité font exploser les coûts d’acquisition. Toutefois, sans ces dépenses, Boursorama Banque indique être rentable depuis plusieurs années. En attendant, seule sa concurrente Fortuneo (Crédit Mutuel Arkéa) plane au-dessus du seuil de rentabilité. Ses dirigeants plaident pour la qualité plus que pour la quantité, car l’un des soucis est de se positionner comme banque principale. Une destination vaine pour l’heure.

Se pose aussi la question du bon vouloir des maisons mères sur le devenir de leur filiale bancaire en ligne. Quid d’Hello bank ! reléguée comme marque commerciale entre le mastodonte BNP Paribas et l’agile Nickel. Quid de BforBank coincée entre l’offre low cost Eko by CA et le Crédit Agricole ? Que penser du récent désinvestissement du Crédit Mutuel (Monabanq) dans ses Fintechs Younited Credit, Leetchi ou Budget Insight ? Et comment interpréter le désengagement de Groupama du projet Orange Bank, banque mobile dont la vente était même d’actualité à l’automne 2021 ?

Perte de leurs avantages concurrentiels

Retour aux fondamentaux. Les deux principaux atouts des banques en ligne sont les frais attractifs et l’autonomie du client. Sur les deux flancs, les banques en ligne se retrouvent prises en tenaille par les groupes bancaires et les Fintechs.

En ce qui concerne les tarifs, les banques en ligne restent performantes, mais la concurrence s’est alignée. D’un côté, les banques traditionnelles ont lancé des flottilles d’offres mobiles low cost : Eko By CA (Crédit Agricole), Enjoy (Caisse d’Épargne), Essentielle (LCL) ou Kapsul (La Société Générale). De l’autre, des établissements concurrents (Orange Bank, Ma French Bank) et les Fintech (Nickel, Revolut, N26) ont appuyé sur la gratuité, bien qu’elles y reviennent depuis quelque temps.

Au sujet de l’expérience utilisateur, là encore, les banques en ligne, autrefois têtes de pont, ont perdu la main. Les plans de digitalisation des groupes bancaires leur permettent désormais de rivaliser en matière de services en ligne, de qualité d’interface et d’application mobile. Les banques traditionnelles n’hésitent pas à copier ce qui fonctionne : opérations en ligne, signature électronique, espace sécurisé, agrégateur de compte, visualisation des dépenses, coach financier, etc. Autant de fonctionnalités novatrices initiées par les Fintech, dont l’existence est fondée sur l’expérience client sur mobile. Comment dès lors se démarquer ?

Une banalisation du positionnement

Pour continuer d’exister et tendre vers la rentabilité, les banques en ligne appliquent les recettes des banques traditionnelles. En tant que détentrices de l’agrément d’établissement de crédit, elles enrichissent leurs offres pour distribuer des produits garantissant une marge supérieure. Du simple compte en banque pour le quotidien, le catalogue s’est élargi aux livrets d’épargne, aux solutions de crédits et aux produits d’investissement.

Ce faisant, elles perdent en singularité, d’autant que leur terrain de chasse est largement attaqué par les Fintech. L’agilité des jeunes pousses et leur capacité à innover dans la technologie financière les ringardisent. Celles-ci anglent leurs attaques sur un marché de niche avant d’agrandir leurs ambitions : les voyageurs (Revolut, N26, Wise, Vivid, etc.), les professionnels (Qonto, Shine, Anytime, iBanFirst, etc.), les adolescents et leurs parents (Xaalys, PixPay, Vybe, Kard), les adeptes de la protection de l’environnement (Hélios, OnlyOne, Green-Got).

Ces néobanques seront-elles rentables un jour ? L’histoire est jonchée de faillites, à l’image de Swoon, touchée coulée en 2021. Pour poursuivre leur envol, les jeunes pousses s’associent avec de grands acteurs ou se font racheter comme le prouvent les acquisitions de TriCount par Bunq, de Nickel par BNP Paribas ou d’Anytime par Orange Bank.

Les Fintech pas plus rentables

L’espace aérien des banques en ligne est de plus en plus peuplé. Une étude d’Exton Consulting indique qu’une trentaine de néobanques ont vu le jour en France depuis 2010. Toutefois, peu de Fintech peuvent se prévaloir du nom de banque comme l’a rappelé ces derniers mois l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Les start-ups ne possèdent pas l’agrément pour assumer une fonction d’établissement de crédit.

Ce point différenciant est à mettre à l’actif des banques en ligne, car la réglementation est très difficile à gérer sans de lourds investissements. Les néobanques aux levées de fonds faramineuses s’y sont cassé les dents. Le service de transfert d’argent de Revolut a été critiqué en 2020 pour des défaillances majeures dans son système de sécurité et de conformité. En avril dernier, le régulateur britannique a carrément accusé certaines néobanques de ne pas être à la hauteur en matière de contrôle de la criminalité financière.

L’autre poids lourd européen du secteur, N26, est actuellement en pleine tourmente dans le cadre de sa lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Après son atterrissage raté aux États-Unis, la néobanque allemande a dû bloquer des comptes de particuliers de manière intempestive, ce qui a déclenché des plaintes en cascade notamment en Italie.

La critique de l’absence de rentabilité vaut aussi pour les Fintechs. En mars dernier, l’ACPR dénonçait leurs faiblesses de financement structurelles. Hormis Nickel rentable depuis 2018, les charges de personnel et le coût des prestataires techniques apparaissent disproportionnés par rapport aux revenus générés par leur activité (373 % !).

Solidité et expertise comme ligne d'horizon

De quoi redonner une impulsion aux banques en ligne adossées à un grand groupe bancaire particulièrement contraint et concerné par ces sujets. Leur avenir passe par une subtile combinaison entre l’autonomie de l’expérience client en ligne et le conseil humain. Dans sa 11è édition de l’étude « Relations banque et client », le cabinet Deloitte indique que 58 % des Français ont confiance dans leur conseiller. Ce dernier demeure un facteur déterminant au moment de choisir sa banque : sa compétence, sa personnalité, son accessibilité et sa proximité.

Quant aux 15-24 ans, segment qui retient toute l’attention des établissements, ils sont favorables au dépassement de fonction d’une banque, par des propositions de services extra-bancaires. Certains pure player n’hésitent pas à ouvrir de nouveaux corridors aériens défricher, comme le Cashback pour Ma French Bank, le paiement fractionné pour Floa Bank, le dépôt d’espèces pour Bunq ou l’univers du Web3.0 pour Revolut (cryptomonnaie et services de finance décentralisée).

Malgré un ciel ennuagé et des vents contraires, les banques en ligne doivent privilégier la confiance de leurs clients autour de services personnalisés. Une fois à bord, la fidélisation est la clé pour faire grossir les revenus, challenger la concurrence et atteindre le sacro-saint aéroport Seuil de rentabilité.

Pour aller plus loin

* : "Feindre jusqu'à atteindre " 



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