Inflation durable : changement de paradigme à tous les étages

Inflation durable : changement de paradigme à tous les étages

Considérée comme temporaire jusqu'à l'automne dernier, l'inflation est désormais qualifiée de durable par les banques centrales. Afin d'en reprendre le contrôle, les institutions augmentent leurs taux d'intérêt. L'objectif : calmer la demande en freinant la production de crédits. Et l'épargnant dans tout ça ?
Banques en ligne

Rédigé par Olivier BALBASTRE

le 01 Juillet 2022

Inflation durable

Les chiffres de l’inflation

« Je ne pense pas que nous allons revenir à une ère de très faible inflation ». Ces propos tenus par la cheffe de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, donnent le ton sur les projections à venir. De son côté, la Banque de France anticipe une accélération de son indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) : +5,6% en moyenne pour 2022. Les prévisions affichent un ralentissement de l’inflation à 3,3% en 2023, et 1,9% en 2024.

L’établissement envisage la diffusion progressive de l’inflation depuis les secteurs de l’énergie et de l’alimentation vers les services. Grâce notamment à son bouclier tarifaire sur l’énergie, la France est plus épargnée que ses voisins : 7,6% en Allemagne, 9,65% en Belgique, 10,2% en Espagne (chiffres de juin).

Si la situation semble un peu plus maîtrisée, la Banque de France abaisse néanmoins ses prévisions de croissance. Alors qu’en mars le consensus tablait sur une croissance économique en 2022 comprise entre 2,8% et 3,4%, les chiffres se veulent désormais moins optimistes : 2,3%.

Les raisons de l’inflation

La guerre engagée par la Russie sur le territoire ukrainien en mars dernier contribue à cet environnement économique. Le conflit bloque les exportations de blé et de tournesol, laissant craindre des épisodes de famine alimentaire dans plusieurs pays très dépendants, notamment en Afrique. Les sanctions occidentales contre la Russie ont aussi un effet sur les marchés des ressources naturelles (gaz et pétrole).

Ainsi, le déséquilibre entre l’offre et la demande fait grimper les prix dans l’alimentaire et les énergies, deux postes très présents dans le budget des ménages. En effet, les entreprises reportent ses hausses sur le consommateur dans leur tarification. De plus, la désorganisation des chaînes logistiques renforce ce déséquilibre, surtout avec les périodes de reconfinement en Chine, principal atelier du monde.

Mais le principal facteur de l’inflation demeure le déversement massif de liquidités dans l’économie. Depuis plusieurs années, les politiques accommodantes des banques centrales (taux négatifs, Quantitative Easing) et le « quoi qu’il en coûte » de la crise Covid (soutien aux entreprises, chèques aux citoyens) ont arrosé les marchés de liquidités. Les pays se sont financés avec de l’argent pas cher, faisant exploser leurs dettes déjà conséquentes pour certains (600 milliards pour la France).

Krach boursier et tension sur le financement de la dette

Face à l’inflation, aux tensions géopolitiques et au scénario de récession économique, les marchés boursiers se sont écroulés sur les actions (-15,68% pour le CAC40 depuis janvier) comme sur les obligations, des placements considérés comme de « bons pères de famille » présents par exemple dans les contrats d’assurance vie. Ce qui pose problème pour les assureurs. En cas de retrait des épargnants sur les fonds euros, les compagnies d’assurance enregistreraient des moins-values, puisqu’ils liquideraient leurs anciennes obligations à faible rendement.

La remontée des taux obligataires est à la fois généralisée et vertigineuse. Référence du marché, l’OAT à 10 ans de la France est passée de -0,37% en janvier 2021 à 2,40% le 14 juin dernier, touchant son point le plus haut depuis le mois de janvier 2014. La conséquence directe : le pays finance plus cher son train de vie, alimentant le poids de l’endettement sur les générations futures.

L’OAT 10 ans est aussi le taux de référence pour les crédits immobiliers. Son augmentation se traduit par une hausse des taux immobiliers de 0,5 point depuis janvier. Le taux d’intérêt moyen s’élève désormais à 1,50% pour la première fois depuis vingt ans. Il faut compter 1,37% pour un emprunt sur 15 ans, 1,47% sur 20 ans et 1,63% sur 25 ans. Pour ne pas écarter les ménages de l’accès au crédit, la Banque de France va relever son taux d’usure en juillet « de 15 à 20 points de base selon la durée ».

La hausse des taux d’emprunt est un ingrédient pouvant calmer l’inflation. Les ménages et les entreprises vont avoir plus de mal à trouver un crédit pour financer leurs projets. La demande devrait se tarir par rapport à l’offre, orientant les prix à la baisse. La contrepartie est un impact négatif sur l’activité économique, avec la mise en faillite d’entreprises, notamment les fameuses sociétés zombies artificiellement maintenues en vie par les politiques accommodantes. Ces défaillances engendreront un risque de hausse du chômage.

Les banques centrales relèvent fortement leur taux

Face à la mise en place d’une boucle prix-salaire (les prix à la consommation augmentent ce qui provoque une demande de hausse des salaires des employés, qui entraîne à leur tour une hausse des prix à la consommation, etc.), la banque centrale américaine (FED) a relevé son principal taux d’intérêt de trois quarts de point le 15 juin dernier. Pour rappel, la fonction d’une banque centrale est de maintenir un taux d’inflation autour de 2%.

La BCE emboîte le pas avec un relèvement des taux d’intérêt de 25 points de base en juillet. L’institution européenne est moins agressive sur le sujet, car la nature de l’inflation n’est pas la même qu’outre-Atlantique. L’Union européenne est confrontée à une inflation importée, soit une hausse des prix des matières premières et de tous les produits ou services importés de l’étranger. Cette spirale est également entretenue par une dépréciation de l’euro face au dollar, principale monnaie d’échange du commerce international.

L’augmentation des taux des banques centrales est un levier pour lutter contre l’inflation galopante. En revanche, c’est une pierre dans le jardin de la croissance économique. Les institutions anticipent donc un possible épisode de récession, soit deux trimestres consécutifs de baisse du PIB.

De l’épargne qui se consume

L’inflation grignote aussi l’épargne. Le taux réel de la rémunération des produits comme le Livret A ou l’assurance vie est égal au taux rémunéré duquel est soustrait le taux d’inflation. Par exemple, en France, si la rémunération de l’épargne est de 2% pour une inflation à 5%, alors l’épargnant voit fondre la valeur de son capital de 3% par an. La sanction est encore plus lourde pour les particuliers qui laissent dormir leur argent sur leur compte bancaire non rémunéré.

Le problème est de savoir où placer son épargne dans cet environnement inflationniste durable. La stratégie consistant à miser sur les marchés boursiers n’est actuellement guère attrayante. Le placement plus tranquille vers les obligations n’est pas plus non plus un refuge. L’or ne progresse pas vraiment. Les investissements alternatifs comme les cryptomonnaies ont complètement dévissé. Quant à l’immobilier, la hausse des taux d’emprunt risque de faire pression sur les prix à la baisse.

En attendant, la rémunération de l’épargne réglementée augmentera le 1e août 2022 afin d’atténuer les effets de l’inflation. L’économiste Philippe Crevel estime que le taux du Livret A pourrait passer de 1% à 2%. Le rendement du Livret d’épargne populaire (LEP) pourrait s’élever à 4,5% et celui du Compte épargne logement (CEL) à 1,25%. Pas de quoi avoir un taux d’intérêt net d’inflation positif…

Reste que la tendance inflationniste durable, de l’aveu même des banques centrales, s’agite comme un « game changer » après 40 ans de baisse des taux et de hausse des dettes. Les épargnants ont tout intérêt à continuer de s’éduquer financièrement pour adopter les bons réflexes et éviter les écueils.



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