Le naufrage de la néobanque allemande N26 : Touché, coulé ?

Le naufrage de la néobanque allemande N26 : Touché, coulé ?

Avec plus de 2,5 millions de clients en France et 7 millions en Europe, la néobanque N26 fait penser, à première vue, à une très belle réussite d'entreprise. Malheureusement pour elle, des nuages sont venus ternir ce tableau idyllique. 
Banques en ligne

Rédigé par Guillaume ROUSSELOT

le 09 Septembre 2022

Naufrage de la banque N26 ?

Il y a, tout d'abord, eu une envie d’internationale avortée qui semble maintenant digérée avec un recentrage sur l’Europe et le développement de nouveaux services bancaires afin de contrer les offensives concurrentes. Ensuite, la polémique majeure porte surtout sur de trop nombreux blocages et clôtures de compte courant à l’initiative de la néobanque allemande.

Les révélations sur N26 et le préjudice client

Depuis fin 2021 et le début de ces révélations, le phénomène ne semble pas réglé. La colère et l’incompréhension des usagers concernés sont palpables, ternissant ainsi l’image et l’aura initiale de N26. Sans polémiquer, il était donc important de retracer tous ces événements et de rappeler les obligations d’une banque et d’un client au moment d’une ouverture de compte et durant toute la relation bancaire.

Quatre points cruciaux sont reprochés à N26 :

  • des blocages de compte intempestifs,
  • des fermetures de compte parfois sans délai,
  • des retards dans le versement du solde du compte suite à la clôture.
  • le manque significatif de contact une fois le compte fermé ce qui ne fait qu’accroître le malaise, l’incompréhension et la colère des clients de la banque allemande.

Depuis les toutes premières informations révélant les pratiques de la néobanque, les clients reprochent toujours à N26 de ne pas prendre le problème à bras le corps. On comptabilise désormais plus de 4000 membres sur le groupe Facebook baptisé “Communauté des clients arnaqués par N26”. Ces derniers souhaiteraient être reçus par la direction de la banque. Signalons également que la DGCCRF mène son enquête sur N26 depuis décembre 2021.

En réponse à ces blocages de compte, la néobanque N26 s’est adressée à la plus grande partie de ces usagers pour leur demander des justificatifs nécessaires afin de respecter les différentes réglementations bancaires (la lutte anti-fraude et anti-blanchiment). Les utilisateurs rétorquent toutefois que malgré la fourniture des différentes pièces demandées, rien n’y fait, leur compte N26 reste bloqué, voire a été clôturé. Certains réclament encore le solde créditeur de leur compte fermé.

À retenir : Si les faits et l’ampleur de la gronde contre N26 semblent incontestables, l’étude des dossiers méritent toutefois beaucoup de prudence et demande une analyse au cas par cas. Il est à signaler également qu’N26 n’est pas le seul établissement bancaire à être ou avoir été pointé du doigt pour ce type de mesure litigieuse. On peut par exemple citer par le passé le cas de son confrère Revolut.

Les sanctions contre N26 en France et en Europe

Le 12 Avril 2022, N26 a déjà fait face à une audience en référé au tribunal judiciaire de Nanterre pour fermetures et blocages abusifs de comptes au motif de la LCB-LT.

Le 2 septembre 2022, la banque N26 est assignée en justice par des clients qui demandent réparations par des dommages et intérêts du fait d’un blocage de leur compte pendant plusieurs mois sans aucune explication de la part de la néobanque allemande. N26 se risque ainsi à une procédure collective devant les tribunaux, qui l’opposerait à plusieurs centaines de clients.

A l’étranger, N26 pose également problème :

  • Septembre 2021 : N26 est pointé du doigt par la Bafin, l'autorité fédérale allemande de supervision des services financiers, pour des manquements dans son dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent et de lutte contre le terrorisme. La sanction est lourde car elle a conduit N26 à limiter le nombre de ses ouvertures de compte à 50 000 par mois contre en moyenne 170 000 auparavant.
  • Mars 2022 : C'est la Banque d'Italie qui interdit la fintech allemande d'accueillir de nouveaux clients dans son pays en raison de lacunes constatées dans le respect de la réglementation anti-blanchiment.
Bon à savoir : Les préjudices clients sont dans certains cas importants : Parfois, c’est même des sommes liées à une vente d’un bien immobilier qui ont été immobilisées sur le compte sans que les clients puissent en disposer librement pour épargner ou bien réaliser de nouveaux projets.

En résumé et à l’heure où nous rédigeons cet article, les différents litiges portent principalement sur :

  • un manquement contractuel dans la gestion de sa relation client : N26 doit informer de sa décision de blocage/clôture en mentionnant clairement ses obligations légales,
  • un manquement au droit bancaire :  N26 doit informer le client de la fermeture du compte afin que ce dernier puisse prendre ses dispositions en conséquence,
  • un devoir de loyauté, de transparence et de diligence perméable : N26 est resté très discret et trop absent face aux nombreuses réclamations,
  • une contestation même des Conditions Générales de N26 trop strictes voires abusives comme la faculté de pouvoir clôturer un compte pour des motifs générant un rapport de force non équitable entre la banque et le client.

Comment N26 se défend-elle face à ces plaintes ?

Dès février 2022, Jérémie Rosselli, le patron en France de N26, informe à ses milliers de clients que la procédure de fermeture de compte a été enclenché dans l’unique objectif d’appliquer la réglementation bancaire européenne. 

L’établissement bancaire se doit ainsi de vérifier scrupuleusement l’identité de leurs clients, leurs transactions et du coup faire ressortir tout mouvement de compte suspect et/ou non justifié (mise en application du KYC : « Know Your Customer »). Retenez qu’une néobanque tout comme une banque en ligne ou bien une banque traditionnelle doit répondre à son obligation de surveillance et lutter activement et en continu contre la fraude.

Pour rappel : pour être client N26 et respecter les conditions générales de la néobanque, vous devez être majeur, avoir une pièce d’identité valide et résider dans un pays où N26 exerce.

Dans le cas présent, il semble surtout que N26 ait été victime de sa forte croissance ou d’un certain laxisme ou manque d'expérience au départ. A un certain moment, des fraudeurs ont certainement profité des largesses de la néobanque. N26 a souhaité ensuite régulariser en masse et renforcer les contrôles afin de ne pas se faire sanctionner par les autorités bancaires de chaque pays où elle commercialise son offre.

N26 n’a jamais nié les blocages de compte. En cas de soupçons et conformément à la réglementation bancaire allemande, elle a pour obligation de bloquer les comptes pendant 4 jours afin que la Financial Transaction Investigation Unit (FIU) mène ses investigations. Ce service, à l’image du Tracfin en France, est le service d’investigation des transactions financières en Allemagne. En attendant, le rapport de fraude éventuelle, le blocage du compte est bien réel avec des conséquences fâcheuses et désagréables pour les usagers de N26.

La néobanque d’Outre-Rhin tient à préciser son fort engagement afin de protéger ses clients et leurs comptes en créant, fin 2019, une équipe baptisée Trust & Safety. Elle souligne également avoir doublé en effectif son service de lutte contre le blanchiment des capitaux (LCB).

Le gros du litige est peut-être finalement un problème de communication car un blocage et/ou une clôture de compte n’oblige pas la banque à le notifier au client concerné. C’est même contraire à leurs obligations réglementaires. Pourtant, il est difficile pour un client de comprendre ce mutisme et immobilisme bancaire dès lors qu’il n’a absolument rien à se rapprocher sur le fonctionnement de son compte personnel.

À savoir : N26 tient à rappeler que face à la polémique et tenant compte de la rigueur de la réglementation bancaire,  seuls 3% des clients ayant eu une fermeture de compte, n'ont pas encore récupéré leur argent. Des retards dûs en grande partie à l'incapacité de certains usagers à fournir des justificatifs (un RIB/IBAN d'un autre compte par exemple) mais également à des retards et oublis de traitement en interne.

Focus sur la réglementation bancaire et la convention de compte

La convention de compte : le contrat entre la banque et le client

La convention de compte est un contrat regroupant l'ensemble des engagements contractuels de la banque mais également de son client . Elle définit et détaille les services de la banque mais aussi les droits et devoirs de chaque partie. Il convient donc de se référer à ce document en cas de manquement de l'une ou l'autre des parties à ses obligations. C'est très certainement à partir de ces documents contractuels que nombre de réponses aux situations conflictuelles entre la néobanque et ses usagers pourront être avancées.

Au sein d'une convention de compte, il sera notamment détaillé :

  • Les conditions générales (durée, services et tarifs proposés, modalités de communication, procuration, gestion d'un décès ainsi que les possibilité de clôture et de médiation...),
  • les moyens de paiement mis à disposition (chèque, cartes bancaires, opposition, incidents de paiements, agios et frais de change...),
  • les incidents bancaires (détail sur le découvert autorisé éventuel, les conséquences en cas de découvert non autorisé, cas de blocage de compte, contentieux...).

Prévue dans ses Conditions Générales, N26 à la possibilité de bloquer temporairement un compte bancaire afin de remplir ses obligations de vigilance et de lutte contre le blanchiment. Elle semble toutefois s’autoriser à résilier sans préavis pour des motifs plus contestables : données incorrectes relatives à sa situation personnelle ou patrimoniale mais également lorsque le client fait face à une baisse importante de sa situation financière et de sa solvabilité ! Des informations que nous n'avons pas été en mesure de contrôler personnellement.

À retenir : Quelles que soient les différentes mentions aux Conditions Générales de N26, cette dernière a l'obligation de procéder au versement du solde du compte clôturé au client dans les plus brefs délais.

Les droits et devoirs de la banque et du client

La banque se doit d’être loyale et transparente sur son fonctionnement et ses services envers ses usagers tout en faisant preuve également de la plus grande diligence. Toutefois, l’établissement doit réglementairement agir et contrôler en continu certaines opérations ou fraudes éventuelles de ses clients.

>> En savoir plus : Les obligations des banques pour protéger leurs clients.

Le respect des obligations bancaires est subordonné à la réalisation par la banque de plusieurs contrôles permanents et ponctuels. Ces derniers portent sur le fonctionnement et les transactions des comptes bancaires de leurs clients pouvant conduire au blocage du compte et des services associés. Ensuite et dans les cas de soupçons avérés, la banque est tenue de respecter un délai fixé à deux mois, avant de procéder à la clôture définitive du compte du client. Seules des fautes plus extrêmes, peuvent entraîner une fermeture de compte courant sans préavis par la banque.

Que faire si vous pensez être en litige avec N26 ?

Si vous êtes victime d’un blocage de compte, il est primordial de contacter la banque afin de connaître précisément les pièces justificatives éventuelles qui peuvent être nécessaires à la complétude de votre dossier client et surtout de montrer votre bonne foi et clarté de vos opérations bancaires réalisées sur votre compte.

Si vous constatez ensuite des manquements de la banque, vous pouvez être amené à faire appel au médiateur de leur banque mais surtout il vous faudra conserver les justificatifs et échanges avec l’établissement bancaire. Le médiateur a pour mission de trouver gratuitement des solutions afin de régler le litige de façon la plus équitable, impartiale et indépendante possible.

Sachez qu’il existe également le Centre Européen des Consommateurs France (CEC). Ce dernier s’est également saisi du dossier et précise également aux usagers de N26 les différentes façon de contester un blocage ou une fermeture abusive de compte bancaire. Rappelons que le CEC France est un centre créé par la Commission Européenne, financé en partie par le Ministère de l’Economie et des Finances. Il a pour vocation d’être l'interlocuteur des consommateurs pour répondre à leurs interrogations sur le droit en Europe ainsi que sur les litiges avec un professionnel dans l’UE (également en Islande, Norvège et en Angleterre). Le service du CEC dirige vers des médiateurs adaptés.

Ensuite, une plainte pourra également être formulée auprès du FIN-NET qui est le réseau en charge de suivre et traiter toutes les  plaintes liées aux services financiers. L’objectif du FIN-NET est de faire coopérer les médiateurs nationaux. Il se doit également de faciliter l’accès aux consommateurs à des procédures extrajudiciaires liées à des litiges transfrontaliers portant sur des services financiers.

Pour un client français, il peut paraître difficile d’assigner une banque Allemande. Par exception au règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012, le client en litige peut saisir la juridiction du lieu où les services ont été distribués. Les usagers français peuvent donc assigner N26 devant les tribunaux nationaux.

À retenir : Le recours judiciaire doit constituer le dernier recours, notamment si vous pensez être victime d’un réel préjudice et être en mesure légitime de réclamer des dommages-intérêts.La juridiction compétente se fera selon le montant estimé du litige : Ce sera le tribunal de proximité ou tribunal judiciaire en dessous de 10 000€ et le tribunal judiciaire pour des sommes au-delà.

Quel avenir pour N26 ?

Cet imbroglio N26 est en tout cas très médiatique avec des conséquences sur le développement actuel et futur de N26 en Europe. La néobanque avait déjà reconnu des erreurs stratégiques avec le choix d'une internationalisation infructueuse. N26 doit chercher à sortir de la meilleure des manières de ce litige juridique car elle a bien d’autres batailles à mener. 

Elle a fait le choix commercial d’investir massivement afin de développer rapidement de nouveaux produits. N26 devrait notamment proposer très prochainement des cryptoactifs et du trading à ses clients afin de récupérer son retard face à son concurrent historique Revolut mais également la fintech française Lydia. Cette dernière a su tirer parfaitement son épingle du jeu des déboires de N26 : Les malheurs des uns faisant très souvent le bonheur des autres.

Tâchons que la néobanque allemande fasse désormais parler son agilité légendaire pour imprimer de nouveau sa « Deutsche Qualitat» qui a fait son succès ! 



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