Paiement dématérialisé : où en est l'euro numérique ?

Paiement dématérialisé : où en est l'euro numérique ?

Réunis à Paris, en septembre, pour échanger sur les crypto-actifs, les banquiers centraux ont évoqué l'avenir de l'euro numérique. Alors que son lancement est suspendu à une décision fin 2023, les expérimentations continuent. L'occasion de faire le point sur les avancées de l'euro digital.
Banques en ligne

Rédigé par Olivier BALBASTRE

le 13 Octobre 2022

L

À quoi ça sert l’euro numérique ?

La monnaie numérique de banque centrale (MNBC) est un moyen de paiement dématérialisé. Il est associé aux transactions de détail, soit les opérations commerciales classiques des particuliers et des entreprises. Cette forme de paiement est liquide, car l’argent est aussitôt mobilisable par ses utilisateurs. La différence avec l’euro se trouve dans le fonctionnement. Alors que le paiement en monnaie fiduciaire nécessite de passer par un tiers (la banque), le paiement en euro numérique n’a pas besoin d’être signalé à ce tiers ni d’obtenir son accord pour être validé.

Dans ce système, c’est la banque centrale qui est la garante du montant du portefeuille numérique détenu par l’utilisateur, mais aussi de la sécurité de la transaction. Pour créer ce système, les projets nécessitent le déploiement de deux actifs : la blockchain (registre distribué) et une plateforme de tenue des marchés automatisée.

Quels sont les intérêts des banques centrales ?

Avant de lancer l’euro numérique, les banquiers centraux cherchent à savoir si une MNBC, en circulation sous forme de jetons (tokens) à partir des blockchains, contribue à fluidifier et à accélérer les transactions financières de bout en bout. L’intérêt se porte plus précisément sur les paiements transfrontaliers, avec l’ambition de générer des économies de capital et de liquidités pour les parties prenantes.

À travers les paiements transfrontaliers se pose surtout l’épineuse question de l’interopérabilité des infrastructures entre les pays, mais aussi de la connexion avec les futures autres MNBC. Il s’agit aussi de favoriser l’utilisation de l’euro dans un monde dématérialisé, avec l’avènement prochain du métavers et son économie interne. Des avis plus critiques estiment que le but est surtout de briser l’anonymat des crypto-actifs et d’avoir un meilleur contrôle. D’autres enfin considèrent que les banques centrales réagissent pour éviter d’être à leur tour disruptées.

Les crypto-actifs dans le viseur des banquiers centraux

Ces problématiques sont au cœur du travail de la Banque de France et du mandat de stabilité financière octroyé par le législateur. L’institution veille au bon fonctionnement du système de paiement et aux éléments perturbateurs. Or, justement deux points cristallisent les inquiétudes : les crypto-actifs et l’arrivée des géants du web sur ce marché.

Dès 2013, la Banque de France s’intéresse de près au bitcoin, et plus globalement aux crypto-actifs. Pour rappel, les institutions ne parlent pas de cryptomonnaies, car les actifs dématérialisés n’ont aucun des trois attributs d’une monnaie : être une unité de compte, un instrument d’échange partout accepté, et une réserve de valeur.

Leur démocratisation oblige les institutions à s’interroger sur leur impact. D’ailleurs, Christine Lagarde, présidente de la BCE, estime qu’entre 10 % et 15 % des Américains et des Européens auraient investi dans les cryptos. D'ailleurs, en France, la loi Pacte du 22 mai 2019 est venue poser un cadre aux activités de prestataires de services sur actifs numériques.

L’euro numérique comme parade ?

Les régulateurs financiers redoutent aussi la main mise d'entités privées sur ce secteur, comme l’a montré le tollé lorsque Facebook a lancé son projet Libra/Diem, avant de l’abandonner en février dernier. Néanmoins, les démarches se multiplient (Alibaba, Apple, JP Morgan, etc.). Le regard des banques centrales est également sévère avec les plateformes comme Binance ou Coinbase qui proposent des solutions de paiement grâce à leur stablecoins. Cette réaction des banques centrales est marquée par la prise en compte de la menace des crypto-actifs pesant sur le système de paiements.

Ce qui n’empêche pas le pragmatisme en y puisant aussi des opportunités. D’où l’idée de l’euro numérique, né d’un rapport publié en octobre 2020. L’Union européenne s’inscrit dans les pas de nombreux autres pays comme la Chine, la Suède, les États-Unis ou plus récemment le Brésil.

Quel calendrier pour l’euro digital ?

En avril 2021, la BCE rend compte des résultats de sa consultation publique sur l’euro numérique « fondé sur la confidentialité et la protection des données personnelles, utilisable hors ligne ». Dès le mois de juillet, l’institution initie sa phase pilote d’une durée de deux ans pour une mise en œuvre en 2024. Le mardi 27 septembre 2022 s’est tenue à Paris une conférence sur la tokénisation, soit l’émission d’un actif numérique sur la blockchain. Organisé par la Banque de France, cet événement a permis aux banquiers centraux d’échanger sur l’euro numérique. De cette rencontre est ressortie la confirmation que l’Eurosystème, constitué par la BCE et les banques centrales des pays membres de l’Union européenne, rendra son verdict à la fin de l’année 2023, pour un lancement potentiel de l’euro numérique en 2026 ou 2027.

En attendant, l’expérimentation se poursuit par le prototypage d’interface utilisateur avec l’euro digital. L’idée est d’évaluer la technologie et sa facilité d’intégration par l’intermédiaire d’applications opérationnelles.

L’Eurosystème a choisi cinq partenaires parmi 54 candidatures pour mener à bien sa phase de test : Worldline pour les paiements déconnectés, EPI et Nexi pour les terminaux en point de vente, CaixaBank pour les transactions P2P, et Amazon pour les opérations de e-commerce.

Un partenariat avec Amazon qui passe mal

Le choix d’Amazon, seule entreprise non européenne sélectionnée, a déclenché de vives critiques chez les parlementaires. Les attaques se concentrent sur les risques d’ingérence étrangère ou d’hégémonie par le géant du web déjà épinglé par l’Union européenne.

La BCE a tempéré en indiquant qu’Amazon pourrait ne pas jouer un rôle majeur dans les prochaines étapes du projet. L’institution précise tout de même que l’entreprise de Jeff Bezos a grandement participé à l’élaboration des interfaces de paiements.

Les banquiers centraux savent que les questions de la confidentialité et de la protection des données sont centrales pour créer de l’adhésion autour de l’euro numérique. Si la rapidité des transactions est un argument pour séduire les entreprises, l’effort de pédagogie sur la sécurisation des paiements par la blockchain doit être soutenu.

En sous-texte, les banques centrales veulent aussi reprendre la main sur les solutions de paiement numérique, sous peine d’être à leur tour court-circuitées par des systèmes décentralisés. L’euro numérique est aussi tancé pour la perte d’anonymat qu’il engendre. En effet, il est difficilement concevable que cette monnaie dématérialisée échappe à la réglementation de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Alors que toutes ces questions demeurent ouvertes, l’Eurosystème donne rendez-vous sur l’avenir de l’euro numérique en 2023, en vue d’un lancement hypothétique au plus tard en 2027.



Articles les plus consultés

Patrimoine
Construire son patrimoine
L'actualité patrimoine