Orange Bank déficitaire, la banque mobile dans l'impasse ?

Orange Bank déficitaire, la banque mobile dans l'impasse ?

« J'ai peut-être surestimé nos chances de succès ». Cette phrase prononcée par Stéphane Richard, ancien PDG d'Orange, claque comme un désaveu pour sa banque en ligne. Elle questionne aussi la rentabilité du modèle économique de tout un secteur. Alors, quel avenir pour Orange Bank ?
Banques en ligne

Rédigé par Olivier BALBASTRE

le 13 Décembre 2022

Orange Bank est déficitaire

Rentabilité des banques en ligne : l’éternel questionnement

Le secteur banque en ligne représente 16 millions de clients, mais plus de 400 millions d’euros de perte. Dans sa troisième étude consacrée aux acteurs numériques de la finance, parue le 18 juillet 2022, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) relève qu’entre 2018 et 2020, « la forte croissance du nombre de clients en 2020 ne s’accompagne pas d’une amélioration de la rentabilité d’exploitation ».

La perte nette s’est même creusée, passant de 376 millions d’euros en 2019 à 441 millions en 2020. Le résultat net par client épouse cette courbe, passant de -45 euros à -57 euros. Les raisons : des frais généraux bien « trop élevés » à commencer par le personnel et les ressources informatiques. Mais ce n’est pas tout puisque s’ajoutent les coûts d’acquisition client avec d’onéreuses dépenses publicitaires et de généreuses primes à la souscription d’un compte.

Le régulateur maintient sa conclusion depuis des années : « Les acteurs numériques de la finance peinent toujours à dégager une rentabilité suffisante, malgré une progression de leurs revenus ». L’ACPR fait néanmoins la distinction entre les acteurs 100 % mobiles plus spécialisés et rentables, et les banques en ligne appartenant à de grands groupes bancaires à l’offre diversifiée, mais peu ou pas rentables. En Europe, selon un rapport du Boston Consulting Group, seule une quinzaine de Fintechs seraient rentables sur un échantillon de 350 établissements...

Orange Bank : 880 millions d’euros de perte en cinq ans

Sur le marché depuis 2017, Orange Bank fait partie des banques mobiles non rentables. C’est tout le poids de la phrase prononcée par Stéphane Richard, six mois après son départ « J’ai peut-être surestimé nos chances de succès ». Orange Bank compterait 2,6 millions de clients en France, même si les chiffres sont potentiellement gonflés depuis 2020 avec l’intégration des 600 000 clients liés à son assurance mobile.

Ce portefeuille la place sur le podium des banques en ligne, mais ne l’empêche pas de présenter un déficit de 880 millions d’euros en cumul sur cinq ans. Dès 2018, les pertes s’élevaient à 169 millions d’euros, puis 185 millions d’euros l’année suivante. En 2020, le déficit se creusait de 195 millions d’euros supplémentaires et l’an dernier de 160 millions d’euros. L’année en cours ne montre aucun signe de redressement, puisque le premier semestre chiffrait 80 millions d’euros de perte.

Un exemple de gabegie : les commerciaux en boutiques Orange percevaient des primes plus élevées. Cette stratégie d’incitation des clients à ouvrir un compte bancaire mobile a permis de convaincre 80 % des adhésions. Sauf que cette technique coûteuse s’est essoufflée une fois tous les clients télécom contactés. Cette emprise des boutiques physiques par rapport au digital est aussi un paradoxe pour une banque… en ligne.

Face à ce constat, le projet soutenu par Stéphane Richard est remis en question. Déjà en 2021, Orange Bank a dû procéder au rachat des parts détenues par son partenaire historique Groupama. Cette opération avait été précédée d’une tentative infructueuse d’ouverture du capital à l’été. Déjà, les rumeurs de rachat par la concurrence (Boursorama, BNP Paribas, Santander) alimentaient l’actualité.

Quelle place pour Orange Bank dans le nouveau plan stratégique d’Orange ?

Cet automne, la question est revenue sur le devant de la scène. Stéphane Richard a quitté Orange, remplacé par Christel Heydemann depuis le 4 avril 2022. La dirigeante prépare un nouveau plan stratégique en février 2023 et souhaite que l’entreprise se recentre sur son cœur de métier : les télécoms.

Comme le service de vidéo à la demande OCS voué à être revendu à Canal+, Orange Bank n’est clairement plus en odeur de sainteté. La banque en ligne symbolise en effet l’échec de l’éparpillement du groupe. Le journal Les Échos indique que la banque d’affaires Lazard a d’ores et déjà été mandatée pour trouver un repreneur en cas de cession ou un partenaire en cas d’ouverture du capital.

Une source interne précise qu’il faudra faire mieux que l’an dernier où « les attentes au niveau du contrôle, du prix, les enjeux informatiques et la situation de gouvernance à la tête d'Orange n'avaient pas permis d'aller au bout ». Avec une évolution toutefois : « Aujourd'hui, la configuration est complètement différente pour Orange Bank. La banque a accéléré son développement et fortement progressé dans sa migration informatique ».

Pour rappel, la banque d’affaires Lazard avait piloté le processus de vente de la banque de particuliers d’HSBC France au fonds Cerberus par l’entremise de sa filiale My Money Group. La vente est-elle une évidence ? Pas forcément, même si Christel Heydemann envisage clairement de scier la branche banque mobile en cas d’objectifs de rentabilité non atteints en 2024.

La consolidation inévitable du marché des banques en ligne

Pour l’instant, Orange continue de proposer de nouvelles offres payantes comme des cartes premiums, le prêt express ou l’offre dédiée aux familles. Le groupe se dit « pleinement engagé sur la poursuite de sa stratégie de valeur tout en avançant vers l’équilibre financier ». L’idée peut être de nouer des partenariats en soutien de leurs activités dans le domaine des assurances ou du crédit.

Preuve que rien n’est écrit, Christel Heydemann vient de nommer Stéphane Vallois à la direction. L’ancien Directeur Général délégué succède à Paul de Leusse en place depuis quatre ans. Stéphane Vallois tenait d’ailleurs ces propos au printemps dernier lors de la réunion de Systals Cards : « Nous remarquons d'un côté une foison de nouveaux acteurs largement financés et de l'autre des acteurs presque historiques qui se retirent du marché. Le retrait d'ING Direct est très marquant et pose à nouveau la question du modèle économique à terme ».

Quels candidats au rachat d’Orange Bank ?

Les candidats au rachat lorgnent forcement sur les 2,6 millions de clients d’Orange Bank. À commencer par Boursorama Banque. La filiale de La Société Générale est leader du marché avec bientôt 5 millions de clients. Pourtant, l’établissement repousse encore volontiers le franchissement de son seuil de rentabilité, avec l’objectif d’atteindre un résultat net de 100 millions en 2024.

Boursorama Banque a déjà récupéré la clientèle d’ING France l’an dernier, avec la cession du bilan et des clients, mais sans les effectifs. Or, ce dernier point est exclu par Orange qui refuse tout « sujet social s’il devait y en avoir un ». De quoi refroidir certaines candidatures.

De son côté, BNP Paribas, autre candidat crédible, affirme vouloir se focaliser sur le développement de sa banque mobile Nickel (2,5 millions de clients). Le compte sans banque annonce être rentable depuis 2018 grâce à une offre payante, un modèle à coût variable reposant sur un réseau de buralistes, et aucune campagne de promotion ou de primes de bienvenue dispendieuses.

 

Pour Orange Bank, impossible de savoir quel scénario l’emportera pour le moment, d’autant que le groupe doit encore préciser ses intentions en février. Néanmoins, dans une période où les taux grimpent et où l’accès à la liquidité est plus difficile, les conditions sont réunies pour une consolidation du marché.



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