Enquête exclusive sur l'emballement autour du projet Freebank

Enquête exclusive sur l'emballement autour du projet Freebank

La société Free se lancerait-t-elle dans la banque en ligne ? Ce sujet récurrent depuis les années 2000 est relancé par un faisceau d'indices tombant comme les feuilles à l'automne. Á moins que la surinterprétation de certains éléments conduise à une mauvaise conclusion. Enquête.
Banques en ligne

Rédigé par Olivier BALBASTRE

le 12 Novembre 2019

Freebank, mythe ou réalité ?

Le contexte de l’affaire Freebank : des indices concordants ?

L’enquête sur la banque en ligne de Free rebondit le 24 octobre dernier. En fin limier, le site mindFintech révèle qu’une des filiales du groupe, alias Iliad 78, a décroché auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), « le droit de déployer des services d’agrégation de compte (AISP) et d’initiation de paiement (PISP) dans le cadre de la DSP2 ». Intéressant mon cher Watson qui, au passage, n’a aucun lien de parenté avec l’intelligence artificielle d’IBM qui fait tourner Djingo, le conseiller virtuel de…Orange Bank !

Aussitôt, le lien est fait avec un autre événement qui a eu lieu quelques semaines plus tôt : la même filiale, Iliad 78, a obtenu un code SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). C’est précisément le 07 octobre 2019 que la dénommée Iliad 78 sollicite les chambres d’enregistrement en tant qu’émetteur et destinataire de flux SEPA, pour les ordres de virement, les ordres de virement instantané et les prélèvements. Une preuve irréfutable ? Pas vraiment, le code SWIFT ou BIC permet l’identification d’un établissement, évoluant ou non dans le secteur financier.

Toutefois, ce nouvel élément est à mettre au dossier Freebank, dossier déjà alimenté cet automne par deux autres indices : le lancement du nouveau service de transfert d’argent Free Money au Sénégal (Tigo devenant Free Sénégal) et l’investissement du groupe de Xavier Niel dans la cryptomonnaie de Facebook, Libra. Le fondateur du groupe Iliad est d’ailleurs monté au créneau pour défendre Libra, une monnaie qui n’est pas de Facebook « mais la monnaie d'acteurs qui se sont réunis autour d'une grande idée, avec une gouvernance démocratique, une co-construction réelle et une dimension européenne ».

Le mobile de Free : des ambitions clairement affichées

Le lancement de Freebank serait-il sur les rails ? Il faut dire que l’attente est savamment entretenue depuis le début des années 2000, au moment où Iliad avait déposé le nom commercial de Freebank à l’INPI. Le groupe l’a d’ailleurs renouvelé en 2010 pour une durée illimitée, désignant un éventail de produits et de services impressionnant et explicite. Jugez vous-même : «  Affaires bancaires, financières et monétaires, courtage en bourse, service de cartes de crédit et de débit, opérations financières, monétaires et de change, consultations en matière financière, informations financières, épargne, dépôt de valeurs, services de financement, transfert électronique de fonds, gérance de fortunes, gérance de biens immobiliers, investissement de capitaux, prêts, parrainage financier, placement de fonds, transactions financières. ».

Il est l’heure d’interroger un expert pour faire le point sur la situation. Appelé à la barre, Julien Maldonato, associé conseil, industrie financière chez Deloitte, sème les premiers doutes sur les intentions de Free : « Un projet de néobanque reste un peu trompeur. A court terme, je ne vois pas un autre intérêt, pour Free, que le dépôt et le paiement. ». C’est le moment de mentionner une source à notre enquête qui remonte à 2017. Thomas Reynaud, Directeur général d'Iliad expliquait que « si un jour on devait se lancer dans les services bancaires on devrait être fidèle à nos valeurs : simplicité, innovation et prix attractifs, mais ce n'est pas notre priorité d'aujourd'hui ».

Conclusion : l’hypothèse de la fausse piste

Le moment est-il vraiment propice au lancement d’une énième banque en ligne ? L’exemple d’Orange Bank est révélateur d’une concurrence accrue entre les acteurs existants. L’opérateur historique vise deux millions de clients en France d’ici 2025 (quatre millions en Europe en 2023). Après deux ans d’exercice, Orange Bank revendique 350 000 clients dans l’hexagone, avec des pertes opérationnelles, sur les neuf premiers mois de 2019, chiffrées à 115 millions d’euros. Résultat mitigé.

La parole est à l’expert, Stéphane Dehaies, associé banque et fintech chez KPMG, qui recommande à Free d’adopter « une stratégie différente d’Orange Bank et des autres acteurs, afin d’adresser un marché déjà très compétitif avec une proposition de valeur originale pour leurs clients et une offre innovante qui combinerait téléphonie, paiements et des services complémentaires ». Ajoutons comme pièces au dossier l’abandon du projet de banque en ligne Fidor par le groupe BPCE ou les interrogations sur l’existence à court terme de l’offre C-Zam commercialisée par Carrefour Banque.

Et si l’emballement autour de Freebank ne masquait pas tout simplement une stratégie plus pragmatique autour de la donnée du paiement. Car, si Iliad 78 a reçu l’autorisation d’initier des prélèvements et des virements, rien ne lui permet d’émettre des instruments de paiement comme des cartes bancaires, de traiter des opérations cartes / virements ou de faire des retraits d’espèces. En réalité, les agréments tendraient à démontrer que Free désire modifier les modalités de règlements des factures, basculant du prélèvement, qui génère des frais conséquents à chaque transaction et encore plus en cas de rejets et d’impayés, à l’initiation de virement.

Tout ce remue-ménage pour ça ? Et oui, ces indices ne suffisent pas à prouver l’arrivée imminente de Freebank. Mais cette enquête n’occulte pas l’intérêt que Free porte pour les services bancaires à moyen terme, ni la convoitise qu'attise la donnée de paiement qui trace le consommateur, une opportunité pour mieux lui délivrer la bonne offre, au bon moment, sur le bon canal. Les exemples Apple (Apple Pay), Uber (Uber Money) et autre Facebook (Libra) en témoignent.



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