Inflation, crédit immobilier, lobby des banques : tension autour du relèvement du taux du livret A

Inflation, crédit immobilier, lobby des banques : tension autour du relèvement du taux du livret A

Le 1e août sera-t-il synonyme de hausse du taux du livret A ? En théorie, oui. La décision finale reviendra au gouvernement, bercé entre plusieurs sons de cloche et contraint par un équilibre ténu à trouver entre les épargnants, les emprunteurs et les banques.
Banques en ligne

Rédigé par Olivier BALBASTRE

le 02 Juin 2023

Tension autour du taux du livret A

Étiage plus conforme pour la collecte du Livret A après le boost du relèvement du taux en février

La Caisse des dépôts indique que la collecte cumulée du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) s’élève à 28,86 milliards d’euros (contre 16,24 milliards d’euros fin avril 2022). Ces chiffres marquent un retour à la normale à la fin du premier trimestre 2023.

Si l’encours du Livret A culminait à 397,4 milliards d’euros, sa collecte mensuelle en avril pointait à 2,33 milliards d’euros. C’est toutefois inférieur aux montants atteints les mois précédents (9,27 milliards d’euros par exemple en janvier).

Le ralentissement est en partie provoqué par l’atténuation de l’effet provoqué par le relèvement des taux d’intérêt. En effet, le taux du Livret A est passé à 3 % au 1e février, ce qui a joué sur son attractivité pour les arbitrages des épargnants.

La décrue de la collecte doit néanmoins être relativisée, car les niveaux demeurent supérieurs à la moyenne de la dernière décennie. Même constat pour le LDDS dont la collecte trimestrielle bat son record (6,82 milliards d’euros). Et si on observe l’encours global cumulé des deux livrets d’épargne réglementés, la cagnotte gonfle à 538,6 milliards d’euros contre 485,9 milliards d’euros un an plus tôt (+10 %).

Les taux d’intérêt toujours à l’épreuve de l’inflation

Les chiffres restent assez éloignés de ceux de l’assurance vie (1884 milliards d’euros fin mars, +1,5 % sur un an), même si cette solution permet de répondre à des objectifs plus étendus (épargne, retraite, succession). D’ailleurs, la hausse des rendements des livrets réglementés contribue à intensifier la concurrence avec l’assurance vie, dont la moyenne des taux servis par les fonds euros (2 %) apparaît désormais moins rémunératrice, surtout en contexte inflationniste.

La hausse des prix à la consommation (+5,9 % en avril, +5,1% sur un an pour l’INSEE) pèse sur le pouvoir d’achat des ménages. Pourtant, ces derniers continuent de mettre de l’argent de côté, tout en puisant dans les dépôts placés sur les comptes courants.

Selon la Banque de France, l’encours de cet « argent endormi » est passé de 542,2 milliards d’euros, en septembre 2022, à 508,7 milliards d’euros en mars dernier. À l’inverse, les dépôts rémunérés ont augmenté de 33,6 milliards d’euros au cours du premier trimestre, ce qui confirme le mouvement de bascule.

Est-ce une trajectoire durable ? L’approche des vacances d’été n’est jamais propice aux économies. Cependant, un élément peut changer la donne : le relèvement éventuel du taux du Livret A à 4 % à partir du 1e août prochain. Cette décision attendue revient au Ministère de l’Économie sur préconisation de la Banque de France.

Le relèvement théorique du taux de livret A à 4,3 % au 1e août

Le calcul du taux du Livret A repose sur la moyenne entre le taux interbancaire de la zone euro et l’indice des prix à la consommation (IPC) moyen sur le dernier semestre. Le changement a lieu deux fois par an, en février et en août, avec la possibilité de le faire en mai et en novembre si des circonstances exceptionnelles l’imposent.

L’Union sociale pour l’habitat (USH) a fait ses calculs : si la formule d’actualisation du taux du Livret A s’applique strictement, alors il devrait atteindre entre 4 % et 4,5 % au 1e août. Le ministre de l’Économie a préalablement indiqué suivre la recommandation du gouverneur de la Banque de France, y compris en cas de souhait d’un nouveau relèvement du taux rémunérateur.

Reste que Bercy conserve toute liberté de ne pas suivre à la lettre la formule de calcul. Déjà en février dernier, le taux du Livret A aurait dû théoriquement s’établir à 3,3 %. Alors, pourquoi cette décision ? Tout simplement, car le relèvement des taux n’arrange pas les banques qui nagent déjà dans des contre-courants : la hausse des coûts de leurs ressources, le repli des dépôts à vue et la difficulté à ajuster leur actif aux nouvelles conditions de marché du crédit.

Le groupe BPCE avait d’ailleurs communiqué en ce sens, relevant un effet négatif de l’ordre de 380 millions d’euros associé à cause de l’impact de l’épargne réglementée. L’établissement bancaire faisait écho d’une réduction de 5 % de son chiffre d’affaires sur un an au premier trimestre 2023. Pour rappel, le groupe possède 30 % environ des parts du marché du Livret A.

Vigilance sur les retombées pour les banques et… les emprunteurs

Le gouverneur de la Banque de France a fait part de sa vigilance au sujet de l’impact sur les crédits immobiliers : le taux du Livret A « est très important pour le logement social et plus largement pour les crédits immobiliers [...] puisque le Livret A est une des ressources de financement du crédit immobilier ».

Autrement dit : la modération de la hausse du taux du livret A freinerait l’augmentation du coût des ressources des banques et donc celle du taux du crédit immobilier. Pour rappel, la hausse des taux directeurs de la banque centrale européenne (BCE) a accru les coûts de refinancement des banques qui les ont répercutés sur les clients.

De son côté, le directeur de la Caisse des dépôts préconise une stabilité des taux dans la durée pour favoriser le coût de financement du logement social (170 milliards d’euros empruntés). Il estime que l’inflation elle-même semble se calmer avant de probablement décroître à terme, rendant inutile d’imposer un effet yoyo sur les taux d’intérêt du Livret A tous les semestres.

La solution du compromis pour sortir par le haut

Parallèlement, quatre députés ont déposé un amendement lors du récent examen du projet de loi de programmation militaire. Le rapport ? Ils voudraient « mobiliser une partie de l'encours non centralisé du livret A et du Livret de développement durable au service des entreprises contribuant à la souveraineté nationale, dont font partie les entreprises de la Base industrielle et technologique de défense ».

L’objectif est de « responsabiliser les acteurs financiers à contribuer au financement de l’ensemble des industries de défense de la France [afin de] garantir durablement son autonomie et sa souveraineté ».

De quel côté la pièce va-t-elle tomber pour le taux du Livret A au 1e août ? Sans doute qu’un compromis est envisageable comme l’explique Cyril Blesson, économiste et associé de Pair Conseil avec un relèvement « peut-être à 3,75 %, l'idée étant de ne pas créer un écart trop important avec les taux monétaires à 3 mois ».



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